"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 24 mai 2014

Diacre Vladimir (Vasilik) : Quelques souvenirs personnels de saint Séraphim de Vyritsa (2)

St. Seraphim of Vyritsa
Saint Séraphim de Vyritsa

C'est un forçat!

Les Dementievs, la mère (il semble que son nom était Maria) et sa fille Tatiana faisaient partie des enfants spirituels de saint Séraphim. C’était une famille de commerçants, le père de famille tenait un magasin de thé, où, avant la révolution, un véritable Chinois ouvrait la porte aux clients. 

Dementiev avait profondément sondé les secrets de l'art du thé, raison pour laquelle il avait voyagé à la fois en Inde et en Chine. Dans l’ardeur de la NEP, [1] ils envoyèrent Dementiev en des endroits qui étaient sous bonne garde, en tant que membre de la classe oisive. Certes, ils changèrent d'avis plus tard, car la jeune Union soviétique devait mettre en place un commerce de thé. 

Les gens du NKVD vinrent vers sa femme: "Où est votre mari?" Elle haussa seulement les épaules: "Vous l’avez arrêté, vous êtes ceux qui devraient le savoir." Et c'est ainsi qu'il disparut dans les camps du nord, emportant avec lui les secrets de sa maîtrise de thé dans le permafrost.

Mais sa veuve restait pour élever la petite Tanya. Et elle l'éleva. La fille grandit, devenant brillante, belle, et croyante.

Après la guerre, un jeune homme commença à courtiser Tanya. Son nom était Nicolas. Candidat au doctorat des sciences de l'ingénierie, chercheur principal dans un institut de recherche scientifique sérieux, il travaillait pour la Défense. Il lui fit la cour magnifiquement et avec tact. Chaque fois qu'il la voyait, il lui apportait des fleurs et parfois d'autres cadeaux. Il était poli et attentionné; en général, il lui téléphonait tous les jours, il était le prétendant des prétendants. Ils fixèrent une date de mariage pour un proche avenir.

Mais Maria, la mère de Tatiana, décida, avant cela,de faire un voyage chez saint Séraphim non pas tant pour avoir des conseils que pour avoir une bénédiction, afin que tout aille bien pour le jeune couple. 

Elle se dirigea vers le Père Séraphim et demanda:
" Batiouchka, Tu ne me bénis pour donner à ma fille en mariage ? "
" Avec qui? "
" Avec une bonne personne. "
" Quel genre de bonne personne ? "
" Une bonne personne. Un ingénieur dans un institut de Défense. Et il est prêt à se marier".
Et elle dit son nom et son prénom. En entendant cela, saint Séraphim soupira et fit un geste de la main :
" Matouchka, à quoi penses-tu? Comprends-tu à qui tu donnes ta fille ? C'est un forçat! Un forçat! Quel mariage? Quel couronnement? [2] Son avenir est sur la route de Vladimirka. [3] La Grande Voie vers la Sibérie est en magasin pour lui."

Maria quitta Vyritsa en se sentant complètement confuse. D'une part, on ne pouvait pas désobéir à Batiouchka; d'autre part, elle ne voulait pas perdre un bon gendre. Mais parmi les paroles [de saint Séraphim] les mots, "c’est un forçat" la frappaient. Elle essayait de se rappeler le visage et le comportement de Nicolas. Qu'y avait-il à leur sujet qui était d’un forçat? Son apparence semblait entièrement bien intentionnée... Elle revint de Vyritsa à Leningrad. Elle n'allait pas à dire quoi que ce soit à sa fille pendant un certain temps.

Et puis quelque chose d'étrange commença à se produire. Avant, Nicolas avait appelé tous les jours, et il venait voir Tatiana presque tous les jours. Mais maintenant, il n'appelait pas pendant une journée entière, puis deux, puis trois et enfin toute une semaine... Maria et Tatiana commencèrent à s'inquiéter: qu'est-ce que ce silence signifiait juste avant le mariage?  Pourrait-il vraiment avoir changé d'avis et avoir peur de s’engager? Quelle insulte à la mariée! Ou bien s'était-il passé quelque chose? Elles appelèrent l'appartement où il vivait. 

Elles ne comprirent pas, elles entendirent quelques réponses étranges: " Qui êtes-vous? Qu'est-ce que vous lui voulez?" Elles se rendirent à son appartement et entendirent: "Il ne vit plus ici." Et les locataires agissaient quelque peu étrangement et ne les regardaient pas dans les yeux.

Enfin Maria décida de franchir une étape, elle se rendit au lieu de travail de Nicolas. Là, ils l’accueillirent encore plus étrangement qu’à son domicile. Tout le monde l'évitait comme la peste. Ils ne voulaient pas donner de réponse claire à ses questions. Enfin, le vieux chef du personnel se sentit désolé pour elle, et il l’invita à son bureau et lui raconta ce qui suit:

Il s'avère que quelques temps auparavant la défense de thèse de doctorat de Nicolas avait eu lieu. La thèse fut brillante. Tout le monde le complimenta, jusqu'à ce que ce soit au tour d’un vieux professeur de s’exprimer. Il se leva et dit: "Amis et collègues. Je ne m'inquiète pas, je n'ai que peu de temps à vivre. Je dois vous dire la vérité sur cette thèse. Elle est plagiée. Elle a été copiée à partir du travail que j'ai supervisé de notre ancien collègue A.M.!" 

Tout le monde fut horrifié. A.M. avait été arrêté en vertu de l'article 58. [4] Mais la preuve du plagiat était lourde et l'affaire ne put être ignorée. Comme le sujet était sur un projet militaire secret, les principaux points qui avaient été volés par Nicolas, le cas a suscité l'intérêt des autorités compétentes. Et il s'est avéré que Nicolas, avait pris connaissance du texte de la thèse d’A.M., avait rédigé un rapport contre lui pour les autorités, et avait volé son travail et son invention également. Et ils arrêtèrent Nicolas pour cela. Ainsi s'accomplit la prophétie de saint Séraphim, "C'est un forçat."

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


Notes:

[1] NEP - Nouvelle politique économique: la politique de l'Union soviétique de 1922 à 1928, qui a permis une certaine quantité du capitalisme, pour tenter de sauver l'économie.

[2] En Russie, svad'ba est «mariage», mais un mariage à l'église est un venchanie - un "couronnement", parce que dans cérémonie de mariage orthodoxe des couronnes sont maintenues  au-dessus [ou mises] sur la tête du couple.

[3] Vladimirka - la route de Vladimir, c'est la voie par laquelle les condamnés de l'Etat étaient envoyés en Sibérie.

[4] Article 58 de l'URSS : "activité contre-révolutionnaire."    



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