"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

dimanche 19 avril 2015

Pâques dans les camps de prisonniers, 4 récits (3/4)




Le troisième récit provient d'un récit de la vie du Hiéromartyr Hilarion (Troitsky), qui a été emprisonné aux Solovki, avec un grand nombre d'autres membres du clergé, moines, et fidèles:

*

Avec toute cette activité, l'archevêque Hilarion mit sans aucun doute les bolcheviks en furie, et il fut envoyé au camp de concentration des Solovki.

"Il faut être dans ces conditions pour au moins un peu de temps, sinon elles sont impossibles à décrire. C'est tout simplement Satan lui-même", écrivit l'archevêque à propos du camp. La description d'un autre prisonnier était que l'endroit était " une fosse terrible, béante, pleine de sang, de corps lacérés, cœurs écrasés." Un lieu de joie pourrait être trouvé ici?

Cependant, même dans le camp, l'archevêque Hilarion conserva son entrain et son courage. Avec deux évêques et plusieurs prêtres, il travaillait comme pêcheur et fabricant de filets. Il plaisantait à ce sujet, réarrangeant les mots de la stichère pour le Dimanche de la Trinité: "Le Saint-Esprit accorde tout: Plus tôt, il a révélé des théologiens parmi les pêcheurs, et maintenant il révèle des pêcheurs parmi les théologiens." Sa bonne humeur s'étendait même aux autorités soviétiques, qu'il pouvait considérer avec un regard qui pardonne. L'archevêque Hilarion sauva même  un des principaux gardiens d'une mort certaine, au péril de sa propre vie dans ce processus. En somme, il a été bien pris par l'idée que Solovki était devenue une école de vertus: non-acquisition, douceur, humilité, abstinence, patience, labeur.

L'archevêque Hilarion gagna un grand respect dans le camp. Son attention à chacun et son amour pour tous était tout simplement incroyable. Il était la personne la plus populaire aux Solovki. Même les bandits et les criminels - dont on pouvait s'attendre à ce qu'une personne hautement spirituelle les trouve intolérables - devinrent ses amis et ses compagnons. Ils l'aimaient et le respectaient pour sa simplicité et sa nature ouverte. Mais derrière cette forme de gaieté et de mondanité, il y avait une pureté enfantine, une grande expérience spirituelle, de la bonté et de la miséricorde, de l'intrépidité et une croyance profonde, de la piété sans hypocrisie et une intelligence extraordinaire. Le déguisement du péché ordinaire, "la folie pour le Christ" et la mondanité cachait aux gens la vie intérieure de l'archevêque et le sauvait de l'orgueil et de la vanité.

L'archevêque passa six années terribles aux Solovki - les dernières années de sa vie. Mais cette joie de Pâques dont Notre Sauveur a parlé lors de la séparation d'avec les apôtres, la seule joie qui peut être complète, ne le quittait jamais.

Une seule fois, alors qu'il était aux Solovki, il lui fut permis de célébrer les Matines de Pâques - en 1926. C'est ainsi qu'un témoin oculaire l'a décrit:

"Silence, l'obscurité tout autour, tandis que des piliers irisées balaient le ciel - les aurores boréales jouent... Et puis les chants sacrées sont entendus par les portes ouvertes de l'église. Le cri de l'archevêque Hilarion résonne comme un tonnerre, comme un ordre strict investi du pouvoir céleste:

"Que Dieu se lève et que ses ennemis se dispersent!"

Puis, étincelante de lumières multicolores, la procession sans précédent de la Croix a commencé à partir de la porte de l'église. Entouré par des lampes et des torches, les dix-sept évêques dans leurs vêtements anciens ont été suivis par plus de deux cents prêtres et autant de moines, et derrière eux marchaient une vague sans fin de ceux dont les cœurs tourmentés n'avaient soif que d'une chose - la Lumière de la Résurrection.

Hors de l'église, les portes voyaient naviguer de brillantes bannières sacrées façonnées par des maîtres artisans de Novgorod la Grande, suivies par des lanternes données au monastère du nord par des doges vénitiens. Les vêtements sacrés brodés par les grandes-duchesses de Moscou  miroitaient sur le clergé.

"Le Christ est ressuscité!" proclamait l'archevêque Hilarion.

" En vérité Il est ressuscité!" entendait-on en réponse, comme l'écho d'un millier de voix sous la coupole brillante du ciel…"

En 1929, la condamnation de l'archevêque prit fin et il fut envoyé dans un nouveau lieu d'exil - en Asie centrale. Mais il n'y est jamais parvenu...

L'archevêque Hilarion mourut du typhus alors qu'il était en déportation dans un hôpital de la prison de Petrograd  le 28 Décembre 1929. 

Ses dernières paroles furent entendues par un médecin: "Comme c'est bien! Maintenant, nous sommes loin de…" Il était parti vers cette terre où jaillit la joie  éternelle.
Le témoin dont les paroles sont citées dans ce récit était Boris Chiriaev*. Ceux qui  lisent le russe sont encouragés à lire des extraits de ses mémoires La Lampade Inextinguible, dont est extraite la citation ci-dessus.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
ORA ET LABORA

Son livre, publié en français sous le titre La Veilleuse des Solovki, est un excellent témoignage, disponible en français aux Editions des Syrtes (merci à O.L. de me l'avoir signalé!)

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