"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 20 avril 2015

Pâques dans les camps de prisonniers, 4 récits (4 et fin)





Le quatrième et dernier récit, relaté par le Professeur I. M. Andreyev, vient aussi des Solovki, et fait également mention de l'archevêque Hilarion ( ci-dessus, à l'extrême gauche sur cette photo prise aux Solovki).

*

En dépit de la sévérité exceptionnelle du régime du camp des Solovki, qui les exposait au risque d'être abattus, les évêques Victor, Hilarion, Nectaire et Maxime, non seulement officièrent souvent ensemble, lors d'offices secrets des catacombes dans les bois de l'île, mais ils firent aussi des consécrations secrètes de nouveaux évêques. C'est seulement à la veille de mon départ des Solovki que j'appris d'un ami proche, prêtre célibataire, qu'il n'était plus prêtre, mais évêque secret.

Nous avons eu plusieurs 'églises' des catacombes secrètes  aux Solovki, mais les plus "aimées" étaient au nombre de deux: la "cathédrale diocésaine" de la Sainte Trinité, et l'église de Saint-Nicolas le Thaumaturge… 

Les offices étaient le plus souvent célébrés dans l'église Saint-Nicolas. Dans "la cathédrale diocésaine de la Trinité," les offices étaient célébrés seulement en été, pour les grandes fêtes et, avec une solennité particulière, le jour de la Pentecôte. Mais parfois, en fonction des circonstances, des offices strictement secrets étaient également célébrés dans d'autres endroits. Ainsi, par exemple, pour le Grand Jeudi [de la Semaine Sainte], l'office avec la lecture des Douze Evangiles était célébré dans la chambre de nos médecins de la dixième compagnie. 

Vladyka Victor et Père Nicholas venaient vers nous, soi-disant pour la désinfection. Ils officiaient avec la porte verrouillée. Le Grand Vendredi l'ordre partit dans toutes les compagnies que, pendant trois jours les prisonniers n'étaient autorisés à quitter leurs compagnies après huit heures du soir, que dans des circonstances exceptionnelles, avec l'autorisation écrite spéciale du commandant du camp.

A sept heures le vendredi soir, quand nous, les médecins venions de rentrer dans nos chambres après une journée de travail de douze heures, le Père Nicolas vint à nous, et nous annonça qu'un épitaphios de la taille de la paume d'une main d'homme, avait été peint par l'artiste R., et que l'office - le rite des funérailles - commencerait dans une heure.

"Où?" demanda Monseigneur Maxime.

"Dans la grande boîte utilisée pour le séchage du poisson qui est près du bois, non loin de telle ou telle compagnie. Le code est trois coups, suivis de deux. Mieux vaut venir un par un."

Une demie-heure plus tard, Vladyka Maxime et moi quittions notre compagnie et nous nous dirigeâmes vers l'adresse indiquée. A deux reprises, les sentinelles nous demandèrent nos cartes. Nous, en tant que médecins, nous les avions. Mais quid des autres?... Vladyka Victor, Vladyka Hilarion, Vladyka Nectaire et le Père Nicholas... Vladyka Victor travaillait comme comptable dans l'usine de corde, Vladyka Nectaire était pêcheur, tandis que les autres tissaient des filets...

Nous voilà à l'orée du bois. Là était la boîte, de plus de deux mètres de longueur. Il n'y avait pas de fenêtres. La porte était à peine visible. Il y avait un crépuscule rayonnant. Le ciel était couvert de nuages ​​épais. Nous avons frappé à trois reprises et puis deux fois. Père Nicholas a ouvert. Vladyka Victor et Vladyka Hilarion étaient déjà là... Quelques minutes plus tard, Vladyka Nectaire est également arrivé. 

L'intérieur de la boîte a été converti en église. Le sol et les murs étaient faits de branches de sapin. Quelques cierges brûlaient. Il y avait quelques petites icônes de papier. Le petit linceul la taille d'une paume qui tenait lieu d'épitaphios, se noyait dans les branches vertes. Il y avait une dizaine de fidèles. Quatre ou cinq autres vinrent plus tard, y compris deux moines. 

L'office commença. Dans un murmure. Il semblait que nous n'avions pas de corps, seulement des oreilles. Rien ne nous arrêtait ou nous empêchait de prier. Je ne me souviens pas comment nous sommes rentrés "chez nous", c'est à dire dans nos compagnies. Le Seigneur nous a protégés.

Les Matines de Pâques devait être servies dans la chambre de nos médecins. Vers minuit, tous ceux qui avaient l'intention de venir étaient arrivés, sans autorisation écrite, avec une excuse d'urgence ou une autre, liée à la section médicale. Il y avait une quinzaine de personnes. 

Après les Matines et la Divine Liturgie, nous nous sommes assis pour rompre notre jeûne. Sur la table étaient des gâteaux, des paskhas, des œufs teintés, des collations et du vin (de la levure liquide avec de l'extrait de canneberge et du sucre). Vers trois heures du matin tout le monde se dispersa. Les commandants des camps faisaient leurs inspections de contrôle de nos compagnies avant et après le service, à onze heures du soir et à quatre heures du matin... Nous trouvant, quatre médecins avec Vladika Maxime à notre tête, encore éveillés, le commandant dit:

"Quoi, vous ne dormez pas, les médecins?" Et il a immédiatement ajouté: "Quelle nuit! On n'a pas envie de dormir!"

Et il est parti.

"Seigneur Jésus-Christ, nous Te remercions pour le miracle de Ta miséricorde et de ta puissance", dit Vladyka Maxime avec emphase, exprimant les sentiments de chacun d'entre nous.

*


Ceux qui lisent le russe peuvent trouver un autre témoignage de première main de la célébration de Pâques dans un camp de travail forcé soviétique ici.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

Nous nous permettons de recommander à nouveau le livre de Boris Chiriaev La Veilleuse des Solovki, qui est un excellent témoignage sur cette période, il est disponible en français aux Editions des Syrtes. (merci à O.L. de me l'avoir signalé!)

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